Le cortex préfrontal représente l'une des structures les plus fascinantes et complexes du cerveau humain. Occupant près d'un tiers de notre cortex cérébral, cette région frontale avancée joue un rôle primordial dans les fonctions cognitives supérieures qui nous distinguent en tant qu'espèce. Véritable chef d'orchestre de notre cognition, ce réseau neuronal sophistiqué coordonne nos pensées, modère nos émotions et façonne nos comportements sociaux. Sa position privilégiée lui permet d'intégrer les informations provenant de multiples régions cérébrales et d'orchestrer des réponses adaptées face à un environnement en perpétuel changement. Les recherches en neurosciences ont révélé que le développement exceptionnellement tardif du cortex préfrontal, qui n'atteint sa pleine maturité qu'après 25 ans, témoigne de sa sophistication et explique l'évolution progressive de nos capacités décisionnelles de l'enfance à l'âge adulte.
Anatomie et structure du cortex préfrontal humain
Localisation et délimitation selon la classification de brodmann
Le cortex préfrontal occupe la partie antérieure des lobes frontaux, représentant environ 30% de la surface corticale totale chez l'humain – une proportion significativement plus importante que chez les autres primates. Selon la classification de Brodmann, établie au début du XXe siècle et toujours utilisée comme référence, cette région englobe principalement les aires 8, 9, 10, 11, 12, 44, 45, 46 et 47. Ces aires sont délimitées postérieurement par le cortex prémoteur (aire 6) et inférieurement par le cortex orbitofrontal qui surplombe les orbites oculaires. L'aire 10, particulièrement développée chez l'humain, correspond au pôle frontal et joue un rôle crucial dans la planification et la métacognition.
Cette organisation anatomique complexe reflète une spécialisation fonctionnelle remarquable. Chaque aire possède une architecture cellulaire distincte et des connexions spécifiques avec d'autres régions cérébrales. Par exemple, l'aire 9 présente une densité élevée de neurones pyramidaux en couche III, caractéristique des régions impliquées dans l'intégration cognitive complexe. Des études récentes utilisant la tractographie par IRM de diffusion ont permis d'identifier jusqu'à 12 sous-divisions fonctionnelles au sein du cortex préfrontal, révélant une organisation antéro-postérieure où les fonctions les plus élaborées se situent à l'avant.
Architecture neuronale et connexions avec les structures limbiques
L'architecture cytoarchitectonique du cortex préfrontal se caractérise par six couches distinctes, avec une prédominance des couches II et III, riches en interneurones et en neurones pyramidaux à projections cortico-corticales. Cette organisation favorise l'intégration d'informations provenant de diverses régions cérébrales. La densité synaptique y est exceptionnellement élevée, permettant un traitement parallèle sophistiqué. Les connexions réciproques avec le thalamus médiodorsal constituent une caractéristique définitoire de cette région et jouent un rôle essentiel dans la régulation de l'attention et la coordination des réponses comportementales.
Les connexions avec les structures limbiques représentent un aspect fondamental de l'architecture du cortex préfrontal. Des faisceaux de fibres robustes relient cette région au complexe amygdalien, à l'hippocampe et au cortex cingulaire antérieur, formant un réseau neurocognitif qui intègre cognition et émotion. Le faisceau unciforme, en particulier, connecte le cortex orbitofrontal et ventromédian aux structures temporales antérieures, permettant l'évaluation émotionnelle des stimuli et la régulation des réponses affectives. Cette interconnexion explique pourquoi des lésions préfrontales peuvent entraîner des perturbations émotionnelles profondes, comme dans le célèbre cas de Phineas Gage au XIXe siècle.
La richesse des connexions entre le cortex préfrontal et les structures sous-corticales explique son rôle central dans l'intégration entre cognition, émotion et motivation, positionnant cette région comme le véritable siège de notre personnalité.
Différences volumétriques entre cortex dorsolatéral et ventromédian
Les analyses morphométriques par IRM ont révélé des différences volumétriques significatives entre les principales subdivisions du cortex préfrontal. Le cortex préfrontal dorsolatéral (CPFDL), comprenant principalement les aires 9 et 46 de Brodmann, présente généralement un volume plus important que le cortex préfrontal ventromédian (CPFVM, aires 10, 11, 12 et 25). Cette différence reflète leurs rôles fonctionnels distincts : le CPFDL est davantage impliqué dans les processus cognitifs "froids" comme le raisonnement logique et la mémoire de travail, tandis que le CPFVM participe aux processus "chauds" liés à la régulation émotionnelle et la prise de décision basée sur les valeurs.
Des études comparatives ont montré que le ratio entre ces régions varie selon les individus et peut être influencé par des facteurs génétiques et environnementaux. Par exemple, certaines recherches suggèrent que les femmes présentent en moyenne un volume relativement plus important du CPFVM par rapport au CPFDL, ce qui pourrait contribuer à certaines différences observées dans les stratégies de traitement émotionnel. De plus, la myélinisation de ces régions suit également des trajectoires différentes au cours du développement, avec une maturation plus tardive du CPFDL, particulièrement vulnérable aux effets du stress chronique et des traumatismes.
Développement ontogénétique du cortex préfrontal de l'enfance à l'âge adulte
Le développement du cortex préfrontal suit une trajectoire remarquablement prolongée, s'étendant de la vie fœtale jusqu'au début de l'âge adulte. Cette maturation tardive explique l'évolution progressive des fonctions exécutives au cours du développement. Pendant la période prénatale, la prolifération et la migration neuronales établissent l'architecture fondamentale. La synaptogenèse s'accélère après la naissance, atteignant un pic vers l'âge de 2 ans, où la densité synaptique dépasse celle observée chez l'adulte.
S'ensuit une période d'élagage synaptique sélectif qui s'étend jusqu'à l'adolescence, éliminant les connexions peu utilisées pour optimiser l'efficacité des réseaux. Parallèlement, la myélinisation des axones préfrontaux se poursuit jusqu'à la troisième décennie de vie, améliorant progressivement la vitesse et la fiabilité de la transmission des informations. Cette maturation tardive explique pourquoi les capacités de planification à long terme, de régulation émotionnelle et de prise de décision complexe continuent de s'affiner bien après l'adolescence. Des études longitudinales ont démontré que l'épaisseur corticale du CPFDL diminue progressivement pendant l'adolescence, reflétant ce processus d'élagage et de spécialisation fonctionnelle.
Cette trajectoire développementale prolongée rend également le cortex préfrontal particulièrement vulnérable aux influences environnementales, qu'elles soient positives (stimulation cognitive, relations sécurisantes) ou négatives (stress toxique, carences nutritionnelles, substances psychoactives). Les périodes de sensibilité accrue, notamment pendant la petite enfance et l'adolescence, représentent à la fois des opportunités d'intervention et des moments de vulnérabilité particulière.
Fonctions cognitives supérieures régulées par le cortex préfrontal
Mémoire de travail et modèle de baddeley
La mémoire de travail constitue l'une des fonctions préfrontales les plus étudiées et les mieux caractérisées. Selon le modèle influent d'Alan Baddeley, cette mémoire temporaire permet de maintenir et manipuler activement des informations pendant quelques secondes à quelques minutes. Le cortex préfrontal dorsolatéral joue un rôle central dans ce processus, servant de "tableau noir mental" où les informations peuvent être maintenues en l'absence de stimuli externes et manipulées pour résoudre des problèmes complexes.
Ce système comprend plusieurs composantes fonctionnelles : la boucle phonologique (pour l'information verbale), le calepin visuospatial (pour l'information visuelle et spatiale), et l'administrateur central (système de contrôle attentionnel). Une quatrième composante, le buffer épisodique, a été ajoutée ultérieurement pour expliquer l'intégration d'informations provenant de différentes modalités sensorielles et de la mémoire à long terme. Des études d'imagerie cérébrale ont montré que ces différentes composantes impliquent des réseaux préfrontaux partiellement distincts, avec une latéralisation hémisphérique : le cortex préfrontal gauche étant davantage impliqué dans la boucle phonologique et le droit dans le calepin visuospatial.
La capacité de mémoire de travail varie considérablement entre les individus et constitue un puissant prédicteur de l'intelligence générale et de la réussite académique. Des programmes d'entraînement cognitif ciblant spécifiquement la mémoire de travail ont montré des résultats prometteurs pour améliorer les performances dans diverses tâches cognitives, bien que la généralisation de ces bénéfices reste débattue.
Processus d'inhibition et contrôle exécutif
Le contrôle inhibiteur représente une fonction essentielle du cortex préfrontal, permettant de supprimer les réponses automatiques ou inappropriées au contexte. Cette capacité d'inhibition opère à plusieurs niveaux : moteur (inhiber un mouvement), cognitif (bloquer une pensée distrayante) et émotionnel (réguler une réaction émotionnelle inadaptée). Le cortex préfrontal ventrolatéral (principalement l'aire 47) et le cortex cingulaire antérieur jouent un rôle prépondérant dans ces processus inhibiteurs.
Des paradigmes expérimentaux comme la tâche de Stroop, le Go/No-Go ou le Stop-Signal permettent d'évaluer ces capacités d'inhibition et révèlent systématiquement une activation préfrontale lors de la suppression des réponses automatiques. Les déficits de contrôle inhibiteur sont caractéristiques de nombreux troubles neurodéveloppementaux comme le TDAH ou les troubles du spectre autistique, et peuvent également apparaître suite à des lésions préfrontales focales.
Le développement du contrôle inhibiteur suit une trajectoire prolongée pendant l'enfance et l'adolescence, expliquant l'impulsivité caractéristique des jeunes enfants et des adolescents. Ce développement progressif reflète la maturation structurelle du cortex préfrontal et l'optimisation des connexions avec les structures sous-corticales, notamment le striatum et l'amygdale. Des études longitudinales ont montré que les capacités d'autocontrôle durant l'enfance prédisent de façon significative la santé physique et mentale, la réussite socioéconomique et même le risque de comportements criminels à l'âge adulte.
Planification stratégique et résolution de problèmes complexes
La planification stratégique, capacité à organiser une séquence d'actions pour atteindre un objectif futur, constitue une fonction préfrontale de haut niveau. Cette compétence implique la projection mentale dans le futur, l'anticipation des conséquences potentielles de différentes actions, et l'organisation séquentielle de comportements orientés vers un but. Le cortex préfrontal médian, particulièrement l'aire 10 de Brodmann, joue un rôle prépondérant dans cette fonction prospective, en collaboration avec le cortex préfrontal dorsolatéral.
Des tests neuropsychologiques comme la Tour de Londres, la Tour de Hanoï ou le labyrinthe de Porteus permettent d'évaluer ces capacités de planification. Les patients présentant des lésions préfrontales échouent typiquement à ces épreuves, non par incapacité à comprendre les règles, mais par difficulté à élaborer mentalement une séquence d'actions efficace pour atteindre l'objectif. Cette difficulté se manifeste également dans leur vie quotidienne par une désorganisation chronique et une incapacité à structurer leurs activités dans le temps.
La résolution de problèmes complexes requiert l'intégration de multiples fonctions préfrontales : maintien du but en mémoire de travail, inhibition des stratégies inefficaces, génération d'hypothèses alternatives, et flexibilité pour ajuster la stratégie en fonction des résultats intermédiaires. Cette orchestration sophistiquée explique pourquoi la capacité à résoudre des problèmes non routiniers constitue l'un des marqueurs les plus sensibles du fonctionnement préfrontal intact.
Flexibilité cognitive testée par le wisconsin card sorting test
La flexibilité cognitive représente la capacité à adapter son comportement face à un environnement changeant, à passer d'une perspective à une autre, et à ajuster ses stratégies mentales en fonction du contexte. Cette fonction essentielle permet l'adaptation aux situations nouvelles et constitue un pilier de l'intelligence humaine. Le cortex préfrontal dorsolatéral joue un rôle prépondérant dans cette flexibilité, en collaboration avec le cortex cingulaire antérieur qui détecte les conflits cognitifs et les erreurs.
Le Wisconsin Card Sorting Test (WCST) représente l'épreuve de référence pour évaluer cette flexibilité cognitive. Dans ce test, le sujet doit classer des cartes selon différents critères (couleur, forme, nombre) qui changent sans avertissement. La performance requiert d'identifier la règle en vigueur, de l'appliquer correctement, puis de détecter son changement et de s'adapter en conséquence. Les patients avec des lésions préfrontales présentent typiquement une persévération pathologique, continuant à appliquer une règle obsolète malgré les feedback négatifs répétés.
La neuroimagerie fonctionnelle a confirmé l'implication critique du CPFDL dans cette tâche, avec une activation particulièrement forte lors des essais où le sujet doit abandonner une règle précédemment correcte pour en adopter une nouvelle. Cette flexibilité cognitive se développe progressivement pendant l'enfance et l'adolescence, avec une amélioration notable des performances au
WCST montre une progression marquée jusqu'à la fin de l'adolescence, corrélée à la maturation progressive du CPFDL et à l'optimisation des connexions fronto-striatales.
Métacognition et conscience de soi
La métacognition, ou capacité à réfléchir sur ses propres processus cognitifs, représente l'une des fonctions les plus élaborées du cortex préfrontal. Cette "cognition sur la cognition" permet l'auto-évaluation, la conscience de ses propres limites cognitives et l'ajustement stratégique face aux défis intellectuels. Le cortex préfrontal antérieur, particulièrement l'aire 10 de Brodmann (cortex frontopolaire), joue un rôle prépondérant dans cette fonction qui distingue particulièrement l'humain des autres espèces.
Cette capacité métacognitive se manifeste dans diverses situations : évaluer sa confiance dans une réponse, estimer le temps nécessaire pour accomplir une tâche, ou reconnaître les limites de sa propre mémoire. Des études en neuroimagerie ont montré une activation spécifique du cortex préfrontal médian lors de tâches requérant une introspection cognitive. Cette région s'active également lors de la théorie de l'esprit – notre capacité à attribuer des états mentaux à autrui – suggérant un substrat neuronal partiellement commun entre conscience de soi et conscience d'autrui.
Le développement de la métacognition suit une trajectoire particulièrement prolongée, se poursuivant jusqu'à l'âge adulte. Les enfants acquièrent progressivement la capacité à évaluer leurs propres connaissances, à prédire leurs performances et à adapter leurs stratégies d'apprentissage en conséquence. Cette maturation tardive reflète le développement prolongé du cortex préfrontal antérieur, l'une des dernières régions cérébrales à atteindre sa pleine maturité structurelle et fonctionnelle.
Neurotransmetteurs et circuits neurochimiques du cortex préfrontal
Système dopaminergique et voie mésocorticale
Le système dopaminergique exerce une influence majeure sur le fonctionnement du cortex préfrontal via la voie mésocorticale. Cette voie, originaire de l'aire tegmentale ventrale (ATV) dans le mésencéphale, projette directement vers les différentes régions préfrontales. Les neurones dopaminergiques de cette voie modulent l'activité des microcircuits préfrontaux, particulièrement les neurones pyramidaux et les interneurones GABAergiques, créant ainsi une "fenêtre optimale" d'activité neuronale nécessaire aux fonctions exécutives.
La dopamine influence le fonctionnement préfrontal selon une courbe en U inversé : des niveaux trop faibles ou trop élevés altèrent les performances cognitives. Cette relation non-linéaire explique pourquoi tant l'hypo que l'hyperdopaminergie peuvent compromettre les fonctions préfrontales. Les récepteurs dopaminergiques D1 et D2, présents en densité importante dans le cortex préfrontal, médient ces effets avec des rôles distincts : les récepteurs D1, plus nombreux, favorisent le maintien des représentations en mémoire de travail, tandis que les récepteurs D2 contribuent davantage à la flexibilité cognitive.
Des perturbations du système dopaminergique préfrontal sont impliquées dans diverses conditions neuropsychiatriques. Dans la schizophrénie, un dysfonctionnement de la transmission dopaminergique préfrontale contribue aux symptômes négatifs et aux déficits cognitifs, tandis que dans le TDAH, une hypoactivation dopaminergique serait associée aux difficultés attentionnelles et exécutives. Les psychostimulants utilisés dans le traitement du TDAH agissent notamment en augmentant la disponibilité de la dopamine dans le cortex préfrontal.
Modulation sérotoninergique et régulation émotionnelle
Le système sérotoninergique, originaire des noyaux du raphé dans le tronc cérébral, projette densément vers le cortex préfrontal où il joue un rôle crucial dans la régulation émotionnelle et le contrôle des impulsions. La sérotonine (5-HT) module particulièrement l'activité du cortex préfrontal ventromédian et orbitofrontal, régions clés dans l'évaluation de la valence émotionnelle des stimuli et la prise de décision basée sur les valeurs. Cette modulation s'effectue via divers sous-types de récepteurs, dont les 5-HT1A, 5-HT2A et 5-HT3, chacun exerçant des effets distincts sur les circuits préfrontaux.
Les déséquilibres de la transmission sérotoninergique préfrontale sont impliqués dans plusieurs troubles psychiatriques, notamment la dépression et les troubles anxieux. Dans la dépression majeure, une diminution de l'activité sérotoninergique préfrontale contribuerait à la rumination négative et aux biais attentionnels vers les stimuli négatifs. Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), traitement de première ligne de la dépression, agissent en augmentant la disponibilité synaptique de la sérotonine, restaurant progressivement l'équilibre fonctionnel des circuits préfrontaux impliqués dans la régulation émotionnelle.
L'équilibre délicat entre les systèmes dopaminergique et sérotoninergique dans le cortex préfrontal forme un substrat neurochimique essentiel pour l'intégration entre cognition et émotion, permettant des réponses comportementales adaptatives face aux défis environnementaux.
La sérotonine interagit également avec d'autres systèmes de neurotransmetteurs préfrontaux, modulant notamment l'activité dopaminergique via des interactions complexes. Ces interactions contribuent à la régulation fine du tonus émotionnel et de l'impulsivité. Des modèles animaux ont démontré qu'une déplétion sérotoninergique préfrontale entraîne une augmentation de l'agressivité impulsive et une diminution de l'inhibition comportementale, soulignant le rôle critique de ce neurotransmetteur dans le contrôle des comportements socialement inappropriés.
Équilibre glutamate-GABA dans le fonctionnement préfrontal
L'équilibre entre les neurotransmetteurs excitateurs (glutamate) et inhibiteurs (GABA) dans le cortex préfrontal constitue un élément fondamental de son fonctionnement optimal. Les neurones pyramidaux glutamatergiques, représentant environ 80% des neurones préfrontaux, forment le squelette computationnel principal, tandis que les interneurones GABAergiques, bien que moins nombreux, exercent un contrôle inhibiteur puissant permettant de sculpter précisément l'activité des réseaux préfrontaux.
Les interneurones GABAergiques préfrontaux présentent une diversité remarquable, incluant des cellules à parvalbumine, calbindine et calrétinine, chacune ayant des propriétés électrophysiologiques et des rôles fonctionnels distincts. Les interneurones à parvalbumine, particulièrement, génèrent des oscillations gamma (30-80 Hz) qui synchronisent l'activité des assemblées neuronales préfrontales, facilitant l'intégration d'informations et la coordination avec d'autres régions cérébrales. Cette synchronisation oscillatoire est essentielle pour la mémoire de travail et d'autres fonctions exécutives.
Des perturbations de l'équilibre glutamate-GABA préfrontal sont impliquées dans diverses pathologies neuropsychiatriques. Dans la schizophrénie, une hypofonction des récepteurs NMDA glutamatergiques combinée à des anomalies des interneurones à parvalbumine contribuerait aux déficits cognitifs et aux symptômes psychotiques. Dans l'épilepsie du lobe frontal, un déséquilibre en faveur de l'excitation glutamatergique peut déclencher des crises qui perturbent profondément les fonctions préfrontales. Les benzodiazépines et autres modulateurs allostériques positifs des récepteurs GABA-A exercent leurs effets anxiolytiques en renforçant l'inhibition GABAergique, notamment dans les circuits préfrontaux liés à l'anxiété.
Influence des récepteurs cholinergiques sur l'attention soutenue
Le système cholinergique, originaire du noyau basal de Meynert et du septum médian, projette densément vers le cortex préfrontal où il joue un rôle crucial dans l'attention soutenue, la vigilance et certains aspects de la mémoire de travail. L'acétylcholine (ACh) agit via deux grandes familles de récepteurs : les récepteurs nicotiniques (ionotropes) et muscariniques (métabotropes), chacun contribuant différemment aux fonctions préfrontales.
Les récepteurs nicotiniques, particulièrement les sous-types α4β2 et α7 abondamment exprimés dans le cortex préfrontal, facilitent la transmission glutamatergique et augmentent le ratio signal/bruit dans les circuits préfrontaux. Cette modulation améliore la détection des stimuli pertinents et facilite le maintien de l'attention soutenue, expliquant partiellement les effets cognitivement stimulants de la nicotine. Les récepteurs muscariniques, notamment les sous-types M1 et M2, influencent quant à eux la plasticité synaptique préfrontale et la stabilité des représentations en mémoire de travail.
Des dysfonctionnements cholinergiques préfrontaux contribuent aux déficits cognitifs dans plusieurs conditions neurologiques, notamment la maladie d'Alzheimer où la dégénérescence du système cholinergique corrèle avec le déclin des fonctions exécutives et attentionnelles. Les inhibiteurs de l'acétylcholinestérase, principaux médicaments utilisés dans la maladie d'Alzheimer, augmentent la disponibilité de l'acétylcholine synaptique et améliorent modestement les performances attentionnelles et mnésiques. Des modulateurs spécifiques des récepteurs nicotiniques et muscariniques représentent actuellement une voie prometteuse pour le développement de traitements ciblant les déficits cognitifs dans diverses pathologies neurologiques et psychiatriques.
Pathologies neurologiques et psychiatriques liées au cortex préfrontal
Les dysfonctionnements du cortex préfrontal constituent un dénominateur commun à de nombreuses pathologies neurologiques et psychiatriques, reflétant le rôle central de cette région dans la cognition, l'émotion et le comportement. Dans la maladie d'Alzheimer, la dégénérescence neurofibrillaire affecte progressivement le cortex préfrontal, entraînant des déficits exécutifs souvent précoces qui compliquent la gestion des activités quotidiennes. La démence frontotemporale se caractérise quant à elle par une atrophie préférentielle des lobes frontaux, provoquant des changements comportementaux majeurs (désinhibition, apathie, perte d'empathie) souvent avant l'apparition des troubles mnésiques.
La schizophrénie illustre particulièrement l'implication préfrontale dans les troubles psychiatriques majeurs. L'hypofrontalité – diminution de l'activité métabolique préfrontale – observée chez de nombreux patients schizophrènes contribuerait aux symptômes négatifs (avolition, anhédonie) et aux déficits cognitifs. Des anomalies structurelles préfrontales, notamment une réduction du volume de matière grise et des perturbations de la substance blanche, sont détectables dès le premier épisode psychotique et même chez certains individus à haut risque, suggérant leur rôle dans la vulnérabilité à la maladie.
Les troubles de l'humeur impliquent également des dysfonctionnements préfrontaux spécifiques. Dans la dépression majeure, une hyperactivité du cortex préfrontal ventromédian associée à une hypoactivité dorsolatérale crée un déséquilibre fonctionnel qui favoriserait la rumination négative et les difficultés de régulation émotionnelle. Le trouble bipolaire se caractérise par des anomalies structurelles et fonctionnelles du circuit fronto-limbique, contribuant à la labilité émotionnelle et aux déficits de contrôle inhibiteur observés même pendant les phases euthymiques. Les thérapies de stimulation cérébrale comme la stimulation magnétique transcrânienne répétitive (rTMS) ou la stimulation électrique transcrânienne (tDCS) ciblent spécifiquement ces déséquilibres préfrontaux, avec des résultats prometteurs dans le traitement des dépressions résistantes.
Imagerie cérébrale et exploration du cortex préfrontal
L'avènement des techniques d'imagerie cérébrale non invasives a révolutionné notre compréhension du cortex préfrontal humain, permettant d'observer son fonctionnement en temps réel. L'IRM fonctionnelle (IRMf), mesurant les variations locales d'oxygénation sanguine comme marqueur indirect de l'activité neuronale, a permis d'identifier les réseaux préfrontaux impliqués dans diverses fonctions cognitives. Cette technique a notamment révélé l'existence du réseau du mode par défaut (DMN), particulièrement actif au repos et impliquant le cortex préfrontal médian, dont le fonctionnement aberrant est observé dans plusieurs troubles psychiatriques.
La tomographie par émission de positons (TEP) offre une vision complémentaire en visualisant directement le métabolisme cérébral ou la distribution de neurotransmetteurs spécifiques. Cette technique a permis de cartographier la distribution des récepteurs dopaminergiques dans le cortex préfrontal et d'étudier les altérations neurochimiques dans diverses pathologies. L'électroencéphalographie (EEG) et la magnétoencéphalographie (MEG), avec leur excellente résolution temporelle, permettent quant à elles d'étudier la dynamique oscillatoire des réseaux préfrontaux, révélant par exemple l'importance des oscillations thêta frontales (4-8 Hz) dans la coordination des fonctions exécutives.