L’autorégulation de carver et scheier pour mieux se connaître

L'autorégulation représente cette capacité fondamentale permettant aux individus d'ajuster leurs comportements, pensées et émotions pour atteindre leurs objectifs personnels. Le modèle développé par Charles Carver et Michael Scheier s'inscrit comme une théorie cybernétique majeure expliquant comment nous naviguons dans notre quotidien, comparant constamment notre situation actuelle à nos valeurs de référence. Cette approche dynamique de l'autorégulation éclaire notre compréhension des mécanismes qui sous-tendent la poursuite des buts et la gestion des écarts entre nos aspirations et notre réalité. Dans un monde où la performance, l'adaptation et le développement personnel sont valorisés, maîtriser ces processus d'autorégulation devient un atout considérable pour optimiser son fonctionnement et sa satisfaction personnelle.

Fondements théoriques du modèle d'autorégulation de carver et scheier

Le modèle d'autorégulation développé par Carver et Scheier trouve ses racines dans la théorie cybernétique, une discipline qui étudie les systèmes de contrôle et de communication chez les êtres vivants comme dans les machines. Initialement conceptualisée par William Powers dans les années 1970, cette approche envisage le comportement humain comme un système de contrôle par rétroaction, similaire aux thermostats qui régulent la température. Cette analogie avec les systèmes mécaniques permet de comprendre comment nous ajustons constamment nos comportements en fonction des écarts perçus entre notre situation actuelle et nos objectifs.

Carver et Scheier ont affiné cette théorie en l'appliquant spécifiquement aux processus psychologiques humains. Leur modèle cybernétique considère que les individus fonctionnent à travers des boucles de rétroaction qui détectent les écarts entre l'état présent et l'état désiré, puis déclenchent des actions pour réduire ces différences. Cette conceptualisation diffère significativement des approches stimulus-réponse traditionnelles en psychologie comportementale, en introduisant une dimension téléologique – orientée vers des buts – dans la compréhension du comportement humain.

L' autorégulation selon Carver et Scheier ne se limite pas à de simples réactions automatiques, mais intègre des processus cognitifs complexes. Elle implique une surveillance continue de soi (self-monitoring), une évaluation constante des progrès, et des ajustements comportementaux en fonction de cette évaluation. Ce processus dynamique permet aux individus de maintenir le cap vers leurs objectifs malgré les obstacles et les distractions rencontrés dans leur environnement.

La boucle de rétroaction négative dans l'autorégulation comportementale

Au cœur du modèle de Carver et Scheier se trouve le concept de boucle de rétroaction négative, mécanisme fondamental par lequel les individus régulent leurs comportements. Contrairement à ce que pourrait suggérer l'adjectif "négatif", cette boucle représente un processus adaptatif essentiel. Elle fonctionne en réduisant progressivement l'écart entre l'état actuel et l'état désiré, comme un navigateur qui ajuste constamment sa trajectoire pour atteindre sa destination.

Cette boucle opère selon une séquence précise : d'abord la perception de l'état actuel, puis la comparaison avec une valeur de référence (le but visé), suivie de l'évaluation de l'écart, et enfin la mise en œuvre d'actions correctrices si nécessaire. Le terme "négatif" fait référence à cette réduction d'écart, et non à une quelconque connotation défavorable. Lorsque vous tentez de maintenir une conversation à un volume approprié, par exemple, vous ajustez automatiquement votre voix à la hausse ou à la baisse selon les circonstances – illustrant parfaitement ce mécanisme d'autorégulation.

La particularité de ce système est sa nature continuellement active. Même lorsqu'un objectif semble atteint, la surveillance se poursuit, prête à déclencher de nouveaux ajustements si des déviations apparaissent. Cette vigilance permanente explique pourquoi nous pouvons maintenir des comportements relativement stables dans des environnements changeants, tout en conservant une flexibilité d'adaptation face aux imprévus.

Structure TOTE (Test-Operate-Test-Exit) et autorégulation quotidienne

La structure TOTE (Test-Operate-Test-Exit) constitue le cadre opérationnel du modèle d'autorégulation de Carver et Scheier. Développée initialement par Miller, Galanter et Pribram, cette séquence décrit les étapes précises par lesquelles nous passons lors des processus d'autorégulation. La phase "Test" correspond à l'évaluation de la situation actuelle par rapport à l'objectif. Si un écart est détecté, la phase "Operate" s'active pour mettre en œuvre des actions correctrices. Une nouvelle phase "Test" vérifie alors l'efficacité de ces actions. Ce cycle se répète jusqu'à ce que l'écart soit suffisamment réduit, moment où intervient la phase "Exit" qui met fin temporairement au processus.

Dans notre quotidien, cette structure TOTE est omniprésente bien qu'elle opère souvent hors de notre conscience. Imaginez que vous prépariez un repas : vous goûtez régulièrement (Test), ajoutez des ingrédients si nécessaire (Operate), goûtez à nouveau (Test), et finalisez la préparation une fois le goût souhaité obtenu (Exit). Ce même mécanisme s'applique à d'innombrables situations, de la régulation de la température corporelle à la gestion d'interactions sociales complexes.

L'efficacité de cette autorégulation dépend largement de notre capacité à définir des critères de test pertinents et à disposer d'un répertoire d'actions suffisamment riche pour la phase opératoire. Les personnes présentant une forte capacité d'autorégulation parviennent généralement à mobiliser ces ressources de manière adaptée selon les contextes, leur permettant d'atteindre leurs objectifs avec plus de constance.

Mécanismes de comparaison entre état actuel et valeurs de référence

Le comparateur, élément central du système d'autorégulation selon Carver et Scheier, fonctionne comme un évaluateur continuel qui analyse l'écart entre notre situation présente et nos valeurs de référence. Ce mécanisme cognitif sophistiqué ne se contente pas d'une simple mesure binaire, mais procède à une évaluation nuancée qui tient compte de multiples paramètres. La précision et la sensibilité de ce comparateur varient considérablement entre les individus et selon les domaines d'activité, expliquant pourquoi certaines personnes détectent immédiatement de légers écarts là où d'autres ne percevront une déviation que lorsqu'elle devient substantielle.

Les valeurs de référence qui servent d'étalon dans ce processus de comparaison peuvent être de natures très diverses : normes sociales intériorisées, objectifs personnels explicites, standards de performance, idéaux abstraits, ou même des modèles de comportement observés chez autrui. La flexibilité de ces références constitue un facteur déterminant dans l'adaptabilité du système d'autorégulation. Des valeurs de référence trop rigides peuvent entraver l'ajustement à des circonstances changeantes, tandis que des références trop malléables risquent de compromettre la persistance nécessaire à l'atteinte d'objectifs à long terme.

Ce mécanisme de comparaison opère également à différents niveaux de conscience. Certaines comparaisons s'effectuent automatiquement, comme le maintien de la posture ou le ton de voix dans une conversation, tandis que d'autres impliquent une réflexion délibérée, notamment lors d'évaluations complexes de performances professionnelles ou académiques. Cette variabilité dans le degré de conscience confère au système d'autorégulation une remarquable économie cognitive, réservant l'attention consciente aux écarts significatifs nécessitant des ajustements importants.

Hiérarchie des buts selon le modèle cybernétique de carver et scheier

Le modèle cybernétique de Carver et Scheier propose une organisation hiérarchique des buts qui structure notre système d'autorégulation. Cette hiérarchie s'articule généralement autour de trois niveaux principaux : les buts de haut niveau (ou principes directeurs), les buts intermédiaires (programmes comportementaux), et les buts de bas niveau (séquences motrices spécifiques). Cette structuration n'est pas arbitraire mais reflète une organisation fonctionnelle où les niveaux supérieurs dirigent et donnent sens aux niveaux inférieurs.

Au sommet de cette hiérarchie se trouvent les principes fondamentaux et les valeurs personnelles qui définissent notre identité profonde – ce que Carver et Scheier nomment parfois le système de soi . Ces buts abstraits comme "être une personne intègre" ou "vivre une vie épanouissante" orientent l'ensemble du système sans nécessairement spécifier les moyens précis pour les atteindre. Au niveau intermédiaire se situent des programmes comportementaux plus concrets comme "réussir professionnellement" ou "maintenir des relations harmonieuses". Enfin, à la base de la hiérarchie se trouvent les séquences d'actions spécifiques et contextualisées qui constituent les moyens d'atteindre ces buts supérieurs.

Cette organisation hiérarchique permet une régulation simultanée à différents niveaux, offrant à la fois stabilité et flexibilité. Les buts supérieurs assurent la cohérence générale du comportement à travers le temps et les situations, tandis que les buts de niveau inférieur peuvent être ajustés ou remplacés en fonction des circonstances sans compromettre l'orientation globale. Cette structure explique comment nous pouvons persévérer dans nos valeurs fondamentales tout en adaptant nos stratégies aux contraintes changeantes de l'environnement.

La hiérarchie des buts n'est pas une structure figée mais un système dynamique en constante reconfiguration. Notre capacité à ajuster cette hiérarchie en fonction des opportunités et des obstacles rencontrés constitue un aspect crucial de l'autorégulation adaptative.

Différences entre feedback-loop et feedforward dans l'autorégulation

Le modèle de Carver et Scheier distingue deux mécanismes complémentaires dans l'autorégulation : la boucle de rétroaction (feedback-loop) et l'anticipation proactive (feedforward). Si la boucle de rétroaction constitue le processus central décrit précédemment, l'anticipation proactive représente une dimension distincte mais tout aussi essentielle. Alors que la rétroaction opère en réduisant les écarts constatés entre l'état actuel et l'état désiré, l'anticipation proactive fonctionne en prévoyant ces écarts potentiels avant même qu'ils n'apparaissent.

Cette capacité d'anticipation permet de préparer des réponses adaptatives par avance, optimisant ainsi l'efficacité du système d'autorégulation. Par exemple, un étudiant qui anticipe les difficultés d'un examen à venir et prépare des stratégies d'étude appropriées démontre cette dimension proactive. Le feedforward s'appuie sur nos expériences antérieures, nos connaissances des situations similaires et notre capacité à simuler mentalement différents scénarios et leurs conséquences.

La combinaison de ces deux mécanismes – rétroactif et proactif – confère au système d'autorégulation une puissance considérable. Les individus qui parviennent à équilibrer efficacement ces deux dimensions manifestent généralement une plus grande adaptabilité face aux défis et une meilleure capacité à poursuivre des objectifs à long terme. Ils peuvent à la fois corriger les déviations actuelles (feedback) tout en se préparant aux obstacles futurs (feedforward), maximisant ainsi leurs chances de succès dans la poursuite de leurs buts.

Affect et autorégulation : l'impact émotionnel selon la théorie de carver

L'une des contributions majeures de Carver et Scheier réside dans l'intégration des émotions au sein du modèle cybernétique d'autorégulation. Loin d'être de simples phénomènes périphériques, les émotions jouent un rôle fonctionnel central dans ce système. Selon leur théorie, les affects ne sont pas seulement des conséquences de nos progrès ou échecs mais constituent des signaux informatifs cruciaux pour le système d'autorégulation. Ces signaux nous renseignent sur l'efficacité de nos efforts et influencent directement nos décisions d'ajustement comportemental.

Plus précisément, Carver et Scheier proposent que les émotions émergent principalement de l'évaluation du taux de progression vers nos objectifs, plutôt que de la simple distance restante. Ainsi, ce n'est pas tant la proximité ou l'éloignement absolu par rapport à un but qui génère des émotions positives ou négatives, mais la vitesse à laquelle nous nous en rapprochons ou nous en éloignons. Cette nuance explique pourquoi nous pouvons ressentir une satisfaction profonde face à de petits progrès dans une tâche difficile, ou au contraire une frustration intense malgré une situation globalement favorable si nous percevons un ralentissement ou une régression.

Cette conception dynamique des émotions comme indicateurs de vélocité dans la poursuite des buts élargit considérablement notre compréhension du rôle adaptatif des affects dans le fonctionnement humain. Les émotions positives signaleraient un taux de progression supérieur aux attentes, encourageant la persévérance dans la stratégie actuelle, tandis que les émotions négatives indiqueraient un taux insuffisant, incitant à des ajustements comportementaux ou stratégiques.

Rôle du méta-monitoring dans la perception des progrès personnels

Le méta-monitoring constitue une dimension sophistiquée du modèle de Carver et Scheier, référant à cette capacité de surveiller non seulement nos progrès vers un objectif, mais également la vitesse à laquelle ces progrès s'accomplissent. Ce processus métacognitif fonctionne comme une "boucle de second ordre" qui supervise la boucle principale d'autorégulation. Si la boucle primaire compare notre état actuel à nos valeurs de référence, la boucle de méta-monitoring évalue si le rythme de réduction des écarts correspond à nos attentes ou standards temporels.

Cette évaluation du taux de progression génère des réponses affectives spécifiques : un rythme de progression plus rapide que prévu produit des émotions positives (joie, enthousiasme, fierté), tandis qu'un rythme plus lent

qu'un rythme plus lent suscite généralement des émotions négatives (frustration, découragement, anxiété). Cette relation entre vitesse de progression et réponses émotionnelles explique pourquoi notre bien-être psychologique dépend souvent davantage de notre perception de progrès que de notre position objective par rapport à nos buts.

Le méta-monitoring implique une sensibilité particulière aux changements de rythme dans notre progression. Nous sommes particulièrement attentifs aux accélérations et décélérations, ce qui explique pourquoi un ralentissement soudain après une période de progrès rapides peut générer une déception disproportionnée, même si la situation globale reste favorable. À l'inverse, une légère accélération après une période de stagnation peut produire un enthousiasme significatif, renforçant notre engagement envers l'objectif.

Cette capacité de méta-monitoring varie considérablement entre les individus et peut être affinée par l'expérience et la pratique réflexive. Les personnes disposant d'un méta-monitoring efficace parviennent généralement à mieux calibrer leurs efforts, à anticiper les obstacles, et à maintenir une motivation optimale dans la poursuite de leurs objectifs à long terme. Cette compétence métacognitive constitue ainsi un facteur déterminant dans la réussite des processus d'autorégulation complexes.

Divergences affectives et ajustement comportemental

Dans le modèle de Carver et Scheier, les divergences affectives - ces écarts entre l'état émotionnel attendu et l'état émotionnel réel - jouent un rôle crucial dans le déclenchement des ajustements comportementaux. Lorsque nous percevons que notre progression vers un objectif s'effectue à un rythme différent de nos attentes, l'émotion résultante (positive ou négative) signale la nécessité d'un ajustement. Cette signalisation émotionnelle fonctionne comme un système d'alerte sophistiqué qui mobilise nos ressources attentionnelles et décisionnelles.

Ces divergences affectives peuvent se manifester à différentes intensités, influençant directement l'ampleur et la nature des ajustements comportementaux. Des écarts mineurs peuvent conduire à des ajustements subtils et progressifs, souvent réalisés de manière semi-automatique. En revanche, des divergences importantes, comme une forte frustration face à des obstacles imprévus ou une joie intense suite à un succès inattendu, peuvent déclencher des réévaluations plus profondes de nos stratégies, voire une redéfinition de nos objectifs.

L'une des caractéristiques remarquables de ce système est sa capacité à moduler l'intensité de nos réponses émotionnelles en fonction du contexte et de l'importance relative des différents buts poursuivis. Un échec perçu comme temporaire dans un domaine périphérique générera généralement une réponse émotionnelle modérée et des ajustements limités, tandis qu'une menace affectant un objectif central de notre système de valeurs provoquera une réaction émotionnelle plus intense et des modifications comportementales plus substantielles.

Les divergences affectives ne sont pas de simples sous-produits de nos efforts d'autorégulation, mais des informations précieuses qui guident activement nos ajustements comportementaux et notre réallocation des ressources attentionnelles et motivationnelles.

Fonction des émotions positives et négatives dans le processus d'autorégulation

Selon Carver et Scheier, les émotions positives et négatives remplissent des fonctions distinctes mais complémentaires dans le processus d'autorégulation. Les émotions positives comme la joie, la fierté ou l'enthousiasme signalent que la progression vers nos objectifs dépasse nos attentes. Cette information affective encourage la persévérance dans les stratégies actuelles et peut faciliter l'élargissement de notre répertoire comportemental, conformément à la théorie de l'élargissement-construction proposée par Barbara Fredrickson. Les émotions positives favorisent également l'exploration et l'innovation, permettant d'identifier de nouvelles opportunités et ressources.

À l'inverse, les émotions négatives comme la frustration, l'anxiété ou la tristesse indiquent que notre progression est plus lente que prévu ou que nous nous éloignons de nos objectifs. Ces émotions ont une fonction de signal d'alarme qui concentre notre attention sur les obstacles rencontrés et mobilise nos ressources pour y faire face. Elles peuvent déclencher une analyse plus approfondie de la situation, encourager la recherche de solutions alternatives ou, dans certains cas, signaler la nécessité d'abandonner un objectif devenu inatteignable pour réorienter nos efforts vers des buts plus réalistes.

Cette conception fonctionnelle des émotions dans le processus d'autorégulation offre une perspective nuancée qui va au-delà de la simple dichotomie entre émotions "bonnes" et "mauvaises". Les émotions négatives, malgré leur caractère désagréable, peuvent s'avérer adaptatives en nous alertant sur des problèmes nécessitant notre attention. De même, les émotions positives ne sont pas uniquement des récompenses hédoniques, mais des signaux informatifs qui orientent nos comportements futurs. Cette intégration sophistiquée des affects dans le système d'autorégulation souligne l'interdépendance profonde entre nos processus cognitifs, émotionnels et comportementaux.

Applications pratiques de l'autorégulation pour le développement personnel

Le modèle d'autorégulation de Carver et Scheier offre un cadre conceptuel riche pour développer des applications pratiques dans le domaine du développement personnel. La compréhension des mécanismes cybernétiques qui régissent nos comportements permet d'élaborer des stratégies d'intervention ciblées pour optimiser notre fonctionnement quotidien. Ces applications s'articulent autour de plusieurs axes principaux qui touchent divers aspects de notre vie personnelle et professionnelle.

L'une des applications les plus directes concerne la fixation d'objectifs efficaces. Le modèle suggère que des objectifs bien formulés devraient être suffisamment précis pour permettre une comparaison claire entre l'état actuel et l'état désiré, tout en s'inscrivant dans une hiérarchie cohérente avec nos valeurs profondes. Cette perspective encourage à définir non seulement des objectifs finaux, mais également des critères intermédiaires permettant d'évaluer régulièrement notre progression. La technique SMART (Spécifique, Mesurable, Atteignable, Réaliste, Temporellement défini) s'aligne parfaitement avec cette approche cybernétique de la poursuite de buts.

Le développement de compétences métacognitives constitue un autre domaine d'application majeur. En affinant notre capacité de méta-monitoring, nous pouvons devenir plus sensibles aux variations dans notre rythme de progression et ajuster nos stratégies de manière plus réactive. Des techniques comme la tenue d'un journal de progression, l'auto-évaluation régulière ou les séances de feedback structuré permettent de renforcer cette dimension cruciale de l'autorégulation. Ces pratiques nous aident à développer ce que les psychologues appellent parfois "l'intelligence exécutive" - cette capacité à orchestrer efficacement nos ressources cognitives, émotionnelles et comportementales au service de nos objectifs.

L'autorégulation émotionnelle représente un troisième champ d'application particulièrement fécond. En reconnaissant que les émotions constituent des signaux informatifs sur notre progression, nous pouvons développer une relation plus constructive avec notre vie affective. Plutôt que de chercher simplement à maximiser les émotions positives et à minimiser les négatives, l'approche de Carver et Scheier nous invite à les considérer comme des données précieuses. Des techniques de pleine conscience (mindfulness) peuvent être employées pour observer ces signaux émotionnels sans réagir impulsivement, permettant une intégration plus délibérée de ces informations dans notre processus décisionnel.

Limites et critiques du modèle cybernétique de carver et scheier

Malgré sa robustesse conceptuelle et son utilité pratique, le modèle cybernétique de Carver et Scheier présente certaines limites qui ont fait l'objet de critiques dans la littérature scientifique. Une première critique concerne le caractère potentiellement mécaniste de cette approche. En empruntant ses concepts fondamentaux aux systèmes de contrôle automatisés, le modèle risque parfois de sous-estimer la complexité et la richesse de l'expérience subjective humaine. Les processus d'autorégulation impliquent des dimensions symboliques, narratives et existentielles qui peuvent difficilement être réduites à des boucles de rétroaction, aussi sophistiquées soient-elles.

Une seconde limite concerne la question de l'origine et de la nature des valeurs de référence utilisées dans le processus de comparaison. Le modèle explique admirablement comment nous poursuivons nos buts, mais aborde moins directement la question de pourquoi nous choisissons certains objectifs plutôt que d'autres, et comment ces choix s'inscrivent dans des contextes socio-historiques particuliers. Les valeurs de référence ne sont pas des constructions purement individuelles mais s'élaborent au sein de cadres culturels, institutionnels et relationnels qui méritent une attention plus soutenue.

Enfin, le modèle a été critiqué pour son traitement parfois simplificateur des situations d'échec persistant et d'abandon des buts. Si les mécanismes de désengagement sont bien décrits sur le plan théorique, la complexité psychologique de ces moments de renoncement, impliquant souvent des redéfinitions identitaires profondes, pourrait bénéficier d'analyses plus nuancées. La transition entre différents systèmes de buts, particulièrement lorsqu'elle est imposée par des circonstances extérieures, constitue un défi théorique que le modèle cybernétique n'aborde que partiellement.

Comparaison avec la théorie de l'autodétermination de deci et ryan

La théorie de l'autodétermination (TAD) développée par Edward Deci et Richard Ryan offre une perspective complémentaire, et parfois contrastante, à l'approche cybernétique de Carver et Scheier. Là où le modèle cybernétique se concentre principalement sur les mécanismes de poursuite des buts, la TAD s'intéresse davantage à la qualité motivationnelle qui sous-tend ces poursuites. Elle distingue notamment différentes formes de motivation (intrinsèque, extrinsèque internalisée, extrinsèque contrôlée) et souligne l'importance cruciale de la satisfaction de trois besoins psychologiques fondamentaux : l'autonomie, la compétence et l'appartenance sociale.

Cette différence d'accent crée des contrastes significatifs dans la conceptualisation du bien-être psychologique. Pour Carver et Scheier, le bien-être émerge principalement de la perception d'un taux satisfaisant de progression vers nos buts. La TAD, en revanche, suggère que la nature même des buts poursuivis et le type de motivation qui les anime sont déterminants pour le bien-être durable. Selon cette théorie, des objectifs alignés avec nos valeurs profondes et poursuivis par motivation autonome contribueront davantage à notre épanouissement que des buts imposés de l'extérieur, même si nous progressons efficacement dans leur réalisation.

Ces deux approches théoriques peuvent néanmoins être intégrées dans une compréhension plus holistique des processus d'autorégulation. Le modèle cybernétique offre une description précise des mécanismes par lesquels nous surveillons et ajustons nos comportements, tandis que la TAD enrichit cette perspective en expliquant comment différentes qualités motivationnelles influencent l'initiation, la persistance et l'efficacité de ces mécanismes. Une autorégulation optimale impliquerait ainsi non seulement des boucles de feedback efficaces, mais également l'alignement des objectifs poursuivis avec nos besoins psychologiques fondamentaux.

Autorégulation et contextes socioculturels : les angles morts du modèle

Une limite notable du modèle cybernétique de Carver et Scheier réside dans sa relative sous-estimation de l'influence des contextes socioculturels sur les processus d'autorégulation. Si le modèle reconnaît que les valeurs de référence peuvent être socialement déterminées, il n'explore pas pleinement comment les structures sociales, les rapports de pouvoir et les normes culturelles façonnent en profondeur nos capacités même d'autorégulation. L'accès aux ressources matérielles et symboliques nécessaires à une autorégulation efficace n'est pas équitablement distribué, créant des disparités significatives dans les possibilités d'autodirection.

Les recherches en psychologie culturelle suggèrent par ailleurs que la conception même de l'autorégulation varie considérablement selon les contextes culturels. Dans les sociétés individualistes, l'accent est généralement mis sur le contrôle personnel et l'autonomie individuelle, tandis que dans les contextes plus collectivistes, l'autorégulation s'inscrit davantage dans une dynamique d'ajustement relationnel et d'harmonie sociale. Le modèle cybernétique, issu principalement de traditions intellectuelles occidentales, tend à privilégier implicitement une vision individualiste qui ne rend pas pleinement justice à la diversité des modes d'autorégulation à travers les cultures.

Le rôle des institutions sociales dans la structuration des opportunités et contraintes d'autorégulation constitue un autre angle mort potentiel. Les systèmes éducatifs, professionnels et légaux établissent des cadres normatifs qui orientent fortement nos choix d'objectifs et nos stratégies pour les atteindre. Une théorie complète de l'autorégulation devrait intégrer ces dimensions structurelles pour éviter le risque d'une psychologisation excessive de phénomènes partiellement déterminés par des facteurs sociopolitiques plus larges.

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