La sérotonine, souvent appelée "l'hormone du bonheur", constitue l'un des neurotransmetteurs les plus fascinants du corps humain. Cette molécule, chimiquement désignée sous le nom de 5-hydroxytryptamine (5-HT), joue un rôle central dans la régulation de l'humeur, mais ses fonctions s'étendent bien au-delà de cet aspect. Présente majoritairement dans l'intestin (environ 90%) et dans une moindre mesure dans le cerveau (5-10%), la sérotonine influence un large éventail de processus physiologiques. Son action modulatrice sur les circuits cérébraux impliqués dans les émotions en fait une cible privilégiée pour comprendre et traiter de nombreux troubles psychiques, notamment la dépression et l'anxiété. Sa découverte dans les années 1940 a révolutionné notre compréhension des mécanismes neurologiques sous-jacents aux états émotionnels et a ouvert la voie à de nouvelles approches thérapeutiques.
Biochimie de la sérotonine dans le système nerveux central
La sérotonine occupe une place prépondérante dans la neurochimie cérébrale. Cette molécule appartient à la famille des monoamines, à l'instar de la dopamine et de la noradrénaline. Sa présence dans le système nerveux central est relativement faible en quantité, mais son influence sur divers circuits neuronaux est considérable. Les neurones sérotoninergiques sont principalement localisés dans les noyaux du raphé, situés dans le tronc cérébral, d'où ils projettent leurs axones vers de nombreuses régions cérébrales impliquées dans la régulation des émotions, de la cognition et des comportements. Cette architecture neuroanatomique explique pourquoi la sérotonine peut influencer simultanément différentes fonctions cérébrales et pourquoi ses dysfonctionnements peuvent avoir des répercussions aussi variées.
Synthèse et métabolisme du 5-hydroxytryptophane (5-HTP)
La biosynthèse de la sérotonine commence par le tryptophane, un acide aminé essentiel uniquement apporté par l'alimentation. Ce précurseur est d'abord converti en 5-hydroxytryptophane (5-HTP) par l'enzyme tryptophane hydroxylase (TPH). Cette étape constitue le facteur limitant de la synthèse de la sérotonine. Le 5-HTP est ensuite rapidement décarboxylé en 5-hydroxytryptamine (5-HT), c'est-à-dire la sérotonine, grâce à l'enzyme L-amino acide décarboxylase (AADC). Cette cascade biochimique est étroitement régulée par divers facteurs incluant la disponibilité du tryptophane, la concentration en cofacteurs enzymatiques comme la tétrahydrobioptérine, et l'activité des enzymes impliquées.
Le 5-HTP est souvent utilisé comme supplément nutritionnel pour stimuler la production de sérotonine, contrairement au tryptophane qui doit concurrencer d'autres acides aminés pour traverser la barrière hémato-encéphalique. Le 5-HTP franchit plus facilement cette barrière et se transforme directement en sérotonine, ce qui explique son utilisation dans certaines approches thérapeutiques alternatives pour les troubles de l'humeur, bien que son efficacité clinique reste débattue dans le milieu médical.
Transporteurs sérotoninergiques SERT et interactions synaptiques
Une fois synthétisée, la sérotonine est stockée dans des vésicules présynaptiques grâce à des transporteurs vésiculaires des monoamines (VMAT). Lorsqu'un potentiel d'action atteint la terminaison axonale, ces vésicules fusionnent avec la membrane et libèrent la sérotonine dans la fente synaptique. Là, cette molécule peut se lier à différents types de récepteurs postsynaptiques pour exercer son action neuromodulatrice. Après sa libération, la sérotonine est rapidement recaptée par le neurone présynaptique via le transporteur sélectif de la sérotonine (SERT), une protéine membranaire qui constitue la cible principale des antidépresseurs de type ISRS (Inhibiteurs Sélectifs de la Recapture de la Sérotonine).
Le SERT joue un rôle crucial dans la régulation fine de la transmission sérotoninergique. Toute altération de son fonctionnement peut entraîner des déséquilibres significatifs dans la disponibilité synaptique de la sérotonine. Des variations génétiques du gène SLC6A4 codant pour le SERT ont été associées à une vulnérabilité accrue aux troubles de l'humeur et à des différences individuelles dans la réponse aux traitements antidépresseurs. En particulier, la région promotrice de ce gène présente un polymorphisme fonctionnel (5-HTTLPR) qui influence l'efficacité de la transcription génique et, par conséquent, la densité des transporteurs SERT à la surface neuronale.
Catabolisme par la monoamine oxydase (MAO) et l'aldéhyde déshydrogénase
La dégradation de la sérotonine s'effectue principalement par désamination oxydative, catalysée par la monoamine oxydase (MAO), une enzyme présente dans la membrane externe des mitochondries. Il existe deux isoformes de cette enzyme : la MAO-A, qui dégrade préférentiellement la sérotonine et la noradrénaline, et la MAO-B, qui cible davantage la phényléthylamine et la benzylamine. Cette désamination produit un aldéhyde instable, le 5-hydroxyindole acétaldéhyde, qui est rapidement oxydé en acide 5-hydroxyindole acétique (5-HIAA) par l'aldéhyde déshydrogénase.
Le 5-HIAA constitue le principal métabolite de la sérotonine et son dosage dans le liquide céphalo-rachidien peut servir d'indicateur de l'activité sérotoninergique centrale. Des taux anormalement bas de 5-HIAA ont été observés chez des patients souffrant de dépression et d'autres troubles psychiatriques, suggérant un turnover réduit de la sérotonine. Les inhibiteurs de la MAO-A (IMAO) augmentent la disponibilité de la sérotonine et d'autres monoamines en bloquant leur dégradation, ce qui explique leur utilisation comme antidépresseurs, bien que leurs effets secondaires et interactions médicamenteuses limitent leur prescription en première intention.
Précurseurs alimentaires et l'enzyme tryptophane hydroxylase
Le tryptophane, précurseur essentiel de la sérotonine, est présent dans de nombreux aliments protéinés comme la volaille, les produits laitiers, les œufs, les légumineuses et certains poissons. La disponibilité du tryptophane dans le cerveau dépend non seulement de sa concentration plasmatique absolue, mais aussi de sa proportion relative par rapport aux autres acides aminés neutres qui partagent le même système de transport à travers la barrière hémato-encéphalique. Ainsi, un repas riche en protéines augmente globalement les acides aminés sanguins mais peut paradoxalement réduire le ratio tryptophane/acides aminés neutres et, par conséquent, limiter la synthèse de sérotonine cérébrale.
L'enzyme tryptophane hydroxylase (TPH) existe sous deux isoformes : TPH1, principalement exprimée en périphérie, et TPH2, spécifique au système nerveux central. Des mutations du gène TPH2 ont été associées à un risque accru de troubles de l'humeur, soulignant l'importance de cette enzyme dans la régulation de l'homéostasie sérotoninergique cérébrale. L'activité de la TPH2 peut être modulée par divers facteurs, notamment les hormones stéroïdiennes et le stress chronique, ce qui pourrait expliquer en partie les différences liées au sexe dans la prévalence de certains troubles psychiatriques et l'impact du stress sur la vulnérabilité à la dépression.
La biochimie de la sérotonine illustre parfaitement la complexité des systèmes de neurotransmission cérébrale. Chaque étape, de la synthèse à la dégradation, offre des points de régulation susceptibles d'être ciblés pharmacologiquement, ouvrant ainsi de multiples avenues thérapeutiques pour les troubles liés à la dysrégulation sérotoninergique.
Récepteurs sérotoninergiques et mécanismes d'action
La diversité des effets physiologiques et comportementaux de la sérotonine s'explique en grande partie par la multiplicité de ses récepteurs. À ce jour, au moins 14 sous-types de récepteurs sérotoninergiques ont été identifiés chez les mammifères, regroupés en 7 familles distinctes (5-HT1 à 5-HT7) selon leurs caractéristiques structurelles et fonctionnelles. Cette diversité remarquable confère au système sérotoninergique une complexité exceptionnelle et une capacité d'action finement modulée. Chaque sous-type de récepteur présente une distribution anatomique spécifique et active des voies de signalisation intracellulaire particulières, contribuant ainsi à la spécificité des réponses physiologiques à la sérotonine.
Famille des récepteurs 5-HT1 et anxiété
La famille des récepteurs 5-HT1 comprend cinq sous-types (5-HT1A, 5-HT1B, 5-HT1D, 5-HT1E et 5-HT1F), tous couplés négativement à l'adénylate cyclase via des protéines Gi/o. Parmi eux, le récepteur 5-HT1A joue un rôle particulièrement important dans la régulation de l'anxiété et de l'humeur. Il existe sous forme d'autorécepteurs somatodendritiques sur les neurones sérotoninergiques des noyaux du raphé et sous forme d'hétérorécepteurs postsynaptiques dans diverses régions limbiques, notamment l'hippocampe et le cortex préfrontal. L'activation des autorécepteurs 5-HT1A inhibe le déclenchement des potentiels d'action dans les neurones sérotoninergiques, réduisant ainsi la libération de sérotonine, tandis que l'activation des hétérorécepteurs module directement l'excitabilité des neurones cibles.
Les anxiolytiques comme la buspirone agissent comme agonistes partiels des récepteurs 5-HT1A, produisant leurs effets thérapeutiques principalement par activation des autorécepteurs. Des études chez des souris génétiquement modifiées dépourvues de récepteurs 5-HT1A ont révélé un phénotype anxieux prononcé, confirmant l'implication de ces récepteurs dans la régulation des comportements liés à l'anxiété. De plus, diverses formes de stress chronique peuvent induire une désensibilisation des autorécepteurs 5-HT1A, potentiellement impliquée dans la physiopathologie des troubles anxieux et dépressifs.
Récepteurs 5-HT2 et implications dans la perception
La famille des récepteurs 5-HT2 comprend trois sous-types (5-HT2A, 5-HT2B et 5-HT2C) couplés positivement à la phospholipase C via des protéines Gq/11. Les récepteurs 5-HT2A sont particulièrement abondants dans le cortex préfrontal, le claustrum et certaines régions du système limbique. Ils sont impliqués dans divers processus cognitifs et perceptifs et constituent la cible principale des hallucinogènes classiques comme le LSD et la psilocybine. L'activation des récepteurs 5-HT2A dans les neurones pyramidaux du cortex préfrontal augmente leur excitabilité et perturbe le traitement sensoriel normal, induisant des altérations perceptives et cognitives caractéristiques des états psychédéliques.
Les récepteurs 5-HT2C, quant à eux, jouent un rôle important dans la régulation de l'appétit et du comportement alimentaire. Leur activation réduit la prise alimentaire, tandis que leur blocage peut induire une hyperphagie et une prise de poids. Cette propriété explique en partie les effets orexigènes (stimulant l'appétit) de certains antipsychotiques atypiques qui antagonisent ces récepteurs. Par ailleurs, les récepteurs 5-HT2C participent également à la modulation des états anxieux et des comportements compulsifs, faisant d'eux des cibles thérapeutiques potentielles pour le traitement des troubles anxieux et du trouble obsessionnel-compulsif.
Récepteurs 5-HT3 et contrôle des nausées
Contrairement aux autres récepteurs sérotoninergiques qui sont métabotropiques (couplés à des protéines G), les récepteurs 5-HT3 sont ionotropiques, formant des canaux cationiques dont l'ouverture permet l'entrée rapide d'ions sodium et calcium, provoquant une dépolarisation de la membrane. Ces récepteurs sont particulièrement abondants dans les neurones du nerf vague et dans l'area postrema, une région du tronc cérébral impliquée dans le déclenchement des réflexes de vomissement. L'activation des récepteurs 5-HT3 dans ces structures joue un rôle crucial dans les nausées et vomissements induits par la chimiothérapie anticancéreuse et par certains anesthésiques.
Les antagonistes des récepteurs 5-HT3, comme l'ondansétron, le granisétron et le palonosétron, constituent une classe majeure d'antiémétiques utilisés en oncologie et en anesthésie. Ces médicaments bloquent sélectivement les récepteurs 5-HT3 sans interférer avec les autres sous-types de récepteurs sérotoninergiques, ce qui leur confère un profil d'effets secondaires favorable. Outre leur action antiémétique, ces antagonistes ont montré une certaine efficacité dans le syndrome du côlon irritable à prédominance diarrhéique, où l'hypersensibilité viscérale est partiellement médiée par une signalisation 5-HT3 exagérée dans les neurones sensoriels entériques.
Signalisation intracellulaire via protéines G et seconds messagers
À l'exception des récepteurs 5-HT3, tous les récepteurs sérotoninergiques sont couplés à des protéines G qui activ
ent des cascades de signalisation intracellulaire via divers seconds messagers. Cette signalisation module l'activité neuronale en affectant la fonction de canaux ioniques, l'expression génique et diverses voies métaboliques. Les récepteurs 5-HT1 inhibent l'adénylate cyclase, réduisant ainsi la production d'AMPc et l'activité de la protéine kinase A (PKA). Cette inhibition entraîne généralement une hyperpolarisation membranaire et une diminution de l'excitabilité neuronale.
À l'inverse, les récepteurs 5-HT4, 5-HT6 et 5-HT7 stimulent l'adénylate cyclase via des protéines Gs, augmentant la production d'AMPc et l'activité de la PKA. Cette activation peut moduler l'ouverture de canaux ioniques, la phosphorylation de protéines cibles et l'expression de gènes de réponse précoce. Les récepteurs 5-HT2, quant à eux, activent la phospholipase C via des protéines Gq/11, générant de l'inositol triphosphate (IP3) et du diacylglycérol (DAG). L'IP3 provoque la libération de calcium intracellulaire depuis le réticulum endoplasmique, tandis que le DAG active la protéine kinase C (PKC).
La spécificité et la complexité de ces voies de signalisation sont encore accrues par divers mécanismes de régulation, incluant la désensibilisation des récepteurs, leur internalisation, et leur couplage différentiel à diverses protéines effectrices selon le contexte cellulaire. De plus, de nombreux récepteurs sérotoninergiques peuvent former des hétérodimères avec d'autres récepteurs couplés aux protéines G, modifiant ainsi leurs propriétés pharmacologiques et leurs voies de signalisation. Cette plasticité fonctionnelle explique en partie pourquoi les médicaments ciblant le système sérotoninergique peuvent avoir des effets variables selon les individus et les contextes pathophysiologiques.
La complexité des récepteurs sérotoninergiques et de leurs voies de signalisation offre de multiples cibles pour le développement de médicaments à action spécifique, permettant potentiellement de cibler précisément certains symptômes tout en minimisant les effets indésirables.
Dysfonctions sérotoninergiques dans les troubles psychiques
Les altérations du système sérotoninergique ont été impliquées dans la physiopathologie de nombreux troubles psychiatriques. La compréhension de ces dysfonctionnements a considérablement évolué au cours des dernières décennies, passant d'une vision simpliste de "déficit en sérotonine" à une conception plus nuancée impliquant des déséquilibres complexes entre différents systèmes de neurotransmission, des anomalies dans la signalisation des récepteurs, et des interactions avec des facteurs génétiques, environnementaux et développementaux. Ces avancées ont permis d'affiner les approches thérapeutiques ciblant le système sérotoninergique, bien que de nombreuses questions restent encore sans réponse.
Dépression majeure et hypothèse monoaminergique
L'hypothèse monoaminergique de la dépression, formulée dans les années 1960, suggérait que cette pathologie résultait d'un déficit fonctionnel en monoamines cérébrales, particulièrement la sérotonine et la noradrénaline. Cette théorie s'appuyait sur plusieurs observations cliniques et précliniques, notamment l'effet antidépresseur des médicaments augmentant la disponibilité synaptique de ces neurotransmetteurs et, inversement, l'effet dépressogène de traitements les réduisant. L'efficacité des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine dans le traitement de la dépression a renforcé l'idée d'un rôle central de ce neurotransmetteur dans la physiopathologie du trouble.
Toutefois, cette hypothèse s'est révélée trop simpliste pour expliquer l'ensemble des aspects de la dépression. Le délai d'action des antidépresseurs (plusieurs semaines) contrastant avec l'augmentation immédiate de la sérotonine synaptique suggère que les bénéfices thérapeutiques découlent de modifications adaptatives secondaires plutôt que de la simple correction d'un déficit. Des études récentes montrent que les antidépresseurs sérotoninergiques induisent des changements complexes dans la plasticité synaptique, la neurogenèse hippocampique et l'expression de facteurs neurotrophiques comme le BDNF (Brain-Derived Neurotrophic Factor). Ces processus, plus que la simple augmentation de sérotonine, seraient à l'origine des effets thérapeutiques.
Par ailleurs, des méta-analyses récentes ont remis en question le lien causal entre niveaux de sérotonine et dépression, soulignant l'hétérogénéité biologique de ce trouble et suggérant que les dysfonctions sérotoninergiques ne concernent peut-être qu'un sous-groupe de patients. Il est aujourd'hui plus pertinent de considérer la dépression comme résultant d'un déséquilibre complexe entre différents systèmes neurobiologiques, incluant mais ne se limitant pas à la sérotonine, avec des implications importantes pour le développement de traitements personnalisés.
Trouble obsessionnel compulsif (TOC) et circuits orbitofrontaux
Le trouble obsessionnel-compulsif se caractérise par des pensées intrusives récurrentes (obsessions) et des comportements répétitifs (compulsions) que le patient se sent obligé d'accomplir pour réduire son anxiété. Des dysfonctionnements du système sérotoninergique ont été impliqués dans sa physiopathologie, comme en témoigne l'efficacité thérapeutique des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, qui constituent le traitement pharmacologique de première ligne. Contrairement à la dépression, le TOC nécessite généralement des doses plus élevées d'ISRS et un temps de traitement plus long avant d'observer une amélioration clinique significative.
Des études de neuroimagerie ont révélé des anomalies fonctionnelles et structurelles dans les circuits fronto-striataux, particulièrement la boucle orbitofrontale-striato-thalamique, chez les patients souffrant de TOC. Ces circuits sont richement innervés par des projections sérotoninergiques provenant des noyaux du raphé. L'hyperactivité de la boucle orbitofrontale-striato-thalamique serait impliquée dans la génération des symptômes obsessionnels et compulsifs, et les ISRS exerceraient leurs effets thérapeutiques en normalisant l'activité de ce circuit.
Au niveau des récepteurs, une dysrégulation des récepteurs 5-HT1A, 5-HT2A et 5-HT2C a été observée dans certaines régions cérébrales de patients atteints de TOC. L'administration d'agonistes 5-HT2C peut exacerber les symptômes obsessionnels chez ces patients, tandis que l'ajout d'antagonistes 5-HT2A aux ISRS peut améliorer la réponse thérapeutique dans les cas résistants. Ces observations soulignent l'importance d'une signalisation sérotoninergique équilibrée dans les circuits fronto-striataux pour le contrôle normal des pensées et comportements répétitifs.
Syndrome sérotoninergique et risques médicamenteux
Le syndrome sérotoninergique représente une complication potentiellement mortelle résultant d'une activation excessive des récepteurs sérotoninergiques centraux et périphériques. Il survient généralement suite à une interaction médicamenteuse impliquant des agents sérotoninergiques ou à un surdosage de ces médicaments. Sa présentation clinique est caractérisée par une triade symptomatique associant des troubles neuromusculaires (hyperréflexie, myoclonies, rigidité), une dysautonomie (hyperthermie, tachycardie, hypertension, diaphorèse) et des altérations de l'état mental (agitation, confusion, délire).
Les combinaisons médicamenteuses les plus à risque incluent l'association d'ISRS avec des IMAO, des opioïdes comme le tramadol ou la péthidine, certains antibiotiques comme le linézolide (qui possède une activité IMAO), ou des drogues récréatives comme la MDMA (ecstasy). Le risque est particulièrement élevé lors des périodes de transition entre différents antidépresseurs sérotoninergiques, d'où l'importance de respecter un intervalle de wash-out suffisant, notamment lors du passage d'un ISRS à un IMAO.
La physiopathologie du syndrome sérotoninergique implique principalement une hyperstimulation des récepteurs 5-HT1A et 5-HT2A. Les récepteurs 5-HT1A médieraient plutôt les symptômes neuromusculaires, tandis que l'activation excessive des récepteurs 5-HT2A serait responsable de l'hyperthermie et des troubles autonomiques. Le traitement repose sur l'arrêt immédiat des agents sérotoninergiques, des mesures de soutien et, dans les cas sévères, l'administration d'antagonistes sérotoninergiques comme la cyproheptadine. La connaissance des interactions médicamenteuses à risque et une vigilance clinique appropriée sont essentielles pour prévenir et détecter précocement ce syndrome potentiellement fatal.
Comorbidités anxieuses et dysrégulation du raphé dorsal
Les troubles anxieux présentent fréquemment une comorbidité avec d'autres pathologies psychiatriques, notamment la dépression, suggérant des mécanismes physiopathologiques partiellement communs. Des dysfonctionnements du système sérotoninergique, particulièrement au niveau du noyau du raphé dorsal, ont été impliqués dans la génération des états anxieux pathologiques. Le raphé dorsal constitue la principale source d'innervation sérotoninergique vers les structures limbiques impliquées dans le traitement des stimuli émotionnels, comme l'amygdale, l'hippocampe et le cortex préfrontal.
Des études de neuroimagerie fonctionnelle ont révélé des altérations de l'activité sérotoninergique dans ces circuits chez les patients souffrant de troubles anxieux, notamment une réactivité anormale de l'amygdale aux stimuli menaçants et une réduction du contrôle inhibiteur préfrontal. Ces anomalies pourraient résulter d'une dysrégulation des autorécepteurs 5-HT1A dans le raphé dorsal, affectant la régulation fine de la libération de sérotonine dans les structures limbiques cibles.
L'efficacité des ISRS dans le traitement de divers troubles anxieux (trouble panique, trouble d'anxiété généralisée, phobie sociale, état de stress post-traumatique) confirme l'implication du système sérotoninergique dans ces pathologies. Toutefois, contrairement à leurs effets antidépresseurs, les ISRS peuvent initialement exacerber l'anxiété chez certains patients, nécessitant une augmentation progressive des doses. Ce phénomène paradoxal pourrait s'expliquer par une activation transitoire des récepteurs 5-HT2A et 5-HT2C dans l'amygdale avant l'instauration d'adaptations neuronales compensatoires. Cette observation souligne la complexité des interactions entre sérotonine et anxiété, qui varient selon les régions cérébrales, les sous-types de récepteurs impliqués et la chronologie des adaptations neurobiologiques.
Pharmacologie ciblant le système sérotoninergique
L'importance du système sérotoninergique dans la régulation de l'humeur, de l'anxiété et de nombreuses autres fonctions physiologiques en a fait une cible privilégiée pour le développement de médicaments psychotropes. Depuis la découverte fortuite des premiers antidépresseurs dans les années 1950, la pharmacologie sérotoninergique a connu des avancées majeures, aboutissant à des médicaments plus sélectifs et mieux tolérés. Comprendre les mécanismes d'action de ces différentes classes de médicaments permet d'appréhender leur utilisation clinique rationnelle et d'anticiper leurs effets secondaires potentiels.
Inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) comme la fluoxétine
Les ISRS représentent une avancée majeure dans le traitement des troubles de l'humeur et de l'anxiété. Leur mécanisme d'action primaire consiste à bloquer le transporteur de la sérotonine (SERT), empêchant ainsi la recapture de ce neurotransmetteur par le neurone présynaptique. Cette inhibition augmente la concentration et la durée de présence de la sérotonine dans la fente synaptique, intensifiant et prolongeant son action sur les récepteurs postsynaptiques. Contrairement aux antidépresseurs plus anciens, les ISRS sont relativement sélectifs pour le SERT, avec une affinité limitée pour d'autres transporteurs ou récepteurs, ce qui explique leur meilleur profil de tolérance.
La fluoxétine (Prozac®), premier ISRS commercialisé en 1987, a révolutionné le traitement de la dépression par sa facilité d'utilisation et sa relative sécurité en cas de surdosage. D'autres ISRS ont suivi, incluant la sertraline, le citalopram et son énantiomère l'escitalopram, la paroxétine et la fluvoxamine. Bien que partageant le même mécanisme d'action principal, ces molécules diffèrent par leurs propriétés pharmacocinétiques (demi-vie, métabolisme), leur sélectivité pour le SERT par rapport à d'autres cibles, et leurs interactions médicamenteuses potentielles.
Les ISRS sont indiqués dans le traitement de la dépression majeure, mais aussi de divers troubles anxieux (trouble panique, phobie sociale, trouble d'anxiété généralisée, TOC, état de stress post-traumatique) et d'autres conditions comme la boulimie nerveuse. Leurs effets thérapeutiques se manifestent généralement après plusieurs semaines de traitement, suggérant que leur bénéfice clinique résulte d'adaptations neuronales secondaires plutôt que de l'augmentation immédiate de la sérotonine synaptique. Parmi les effets indésirables les plus fréquents figurent les nausées, les troubles digestifs, les céphalées, l'insomnie ou la somnolence, et les dysfonctions sexuelles, ces dernières pouvant affecter significativement l'observance thérapeutique.